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La robe qui pique

Elide Siviero

Aujourd’hui en regardant certaines robes que je ne peux plus porter car elles ne conviennent plus à quelqu’un qui déambule avec un tuteur pour les jambes, j’ai pensé à deux petites robes que je portais quand j’étais enfant et auxquelles sont liés des souvenirs très forts. La première était une robe droite pour l’hiver en laine épaisse à carreaux vert, bleu et rose et avec un joli col blanc. La deuxième était une robe d’été évasée bordée d’un volant. Elle était blanche avec des petits chevaux de toutes les couleurs.

C’était ma préférée. J’aimais beaucoup aussi la première mais c’était une torture de la porter car elle piquait partout. Je la portais pour aller voir ma grand-mère qui habitait à Milan et le voyage était un petit supplice. Mais je savais que ma grand-mère aimait cette petite robe et qu’elle allait être heureuse en me voyant habillée ainsi. Cette robe en laine représentait bien le proverbe: «Il faut souffrir pour être belle». La robe avec les petits chevaux est en revanche liée au premier souvenir du changement de mon corps: je m’aperçus que je ne pouvais plus la porter car j’avais grandi.

Je me souviens que je ne pouvais pas y croire! Je ne pouvais plus rentrer dedans et j’ai beaucoup pleuré. J’avais peut-être cinq ou six ans et pour la première fois, j’ai pris conscience que les choses changent, que nous grandissons et cela fut une véritable surprise. Ces deux robes de mon enfance m’ont offert l’occasion de faire deux remarques. La première est que, même pour être «beau» spirituellement, il faut passer à travers la souffrance. Un vrai chemin spirituel n’existe pas sans s’unir à la croix du Christ.

Léon Bloy disait: «Quand une grande personnalité apparaît, demandez-vous où est sa douleur». Chacun de nous a des zones de douleur: si nous les vivons en union avec le Christ, nous serons «beaux» même si nous portons une robe qui pique. La deuxième concerne un sujet plus complexe de notre existence: la vie est un changement continu. On est en train de vivre seulement si on change. Vivre signifie grandir et cela nous demande de savoir quitter les vieux habits pour en porter de nouveaux.

Cela nous enseigne que l’habitude qui étymologiquement vient du latin «habitus», nous fait courir le risque de nous enfermer dans une situation qui n’admet pas de changements. On souffre en se voyant vieillir et en constatant que notre corps n’est plus comme avant, en découvrant de nouvelles rides mais cette transformation qui nous oblige à quitter nos habits préférés, en réalité, nous lance un nouveau défi: la possibilité de porter de nouveaux vêtements et de découvrir des choses nouvelles de notre âme. Jésus-Christ parlait de cela quand il a affirmé: «Personne ne déchire un morceau à un vêtement neuf pour le coudre sur un vieux vêtement. Autrement, on aura déchiré le neuf, et le morceau qui vient du neuf ne s’accordera pas avec le vieux.

Et personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres; autrement, le vin nouveau fera éclater les outres, il se répandra et les outres seront perdues» (Luc 5, 36-37). La parabole du raccommodage et du vin veut faire comprendre qu’avec la venue du Christ, on est arrivé à un tournant radical. Il ne s’agit pas seulement de faire des raccommodages et de mettre des morceaux par ci et par là; il s’agit de porter un vêtement complètement nouveau car l’unique priorité est d’accueillir le Seigneur pour vivre comme des hommes nouveaux. Nous nous préparons pour la fête de Pâques en apprenant à quitter nos vieux vêtements pour entrer dans la nouveauté du Christ.