Cantalamessa: Jésus est avec nous dans ce monde qui semble nous échapper

 

Nicola Gori

«Parler de l’Eucharistie en temps de pandémie (et à présent avec les horreurs de la guerre dans les yeux) ce n'est pas nous abstraire de la réalité dramatique que nous vivons, mais une aide pour la regarder d'un point de vue plus élevé et moins contingent», a d’emblée pointé le prédicateur de la Maison pontificale, initiant ainsi le cycle de ses enseignements de carême.
Le besoin de l'Eucharistie

«L'Eucharistie, a-t-il expliqué, est la présence dans l'histoire de l'événement qui a inversé à jamais les rôles entre vainqueurs et victimes». Sur la croix, «le Christ a fait de la victime le vrai vainqueur : “Victor quia victima”, saint Augustin le définit : Vainqueur parce que victime». Pour cette raison, l'Eucharistie «offre la véritable clé de lecture de l'histoire. Elle nous assure que Jésus est avec nous, non seulement intentionnellement, mais réellement dans ce monde qui semble nous échapper à tout moment. »

Parmi les nombreux maux que le Covid-19 a causés à l'humanité, a ajouté le cardinal, il y a eu au moins «un effet positif du point de vue de la foi». C'est précisément la pandémie qui nous a fait «prendre conscience du besoin que nous avons de l'Eucharistie et du vide que crée son absence». Pendant la période la plus aiguë de la pandémie, en 2020, «j'ai été fortement impressionné, et avec moi des millions d'autres catholiques, par ce que cela signifiait chaque matin de regarder à la télévision la Sainte Messe célébrée par le Pape François à Sainte-Marthe.»

Certaines Églises locales et nationales, a rappelé le prédicateur, ont décidé «de consacrer l'année en cours à une catéchèse spéciale sur l'Eucharistie, en vue d'un renouveau eucharistique souhaité dans l'Église catholique». Il me semble, a-t-il noté, qu'il s'agit d'une «décision opportune et d'un exemple à suivre, touchant peut-être à un aspect qui n'est pas toujours pris en considération».

L'émerveillement eucharistique

D'autre part, l'Eucharistie est au «centre de chaque saison liturgique, du carême comme dans les autres temps». C'est ce que «nous célébrons chaque jour, la Pâque quotidienne». Chaque petit progrès dans «sa compréhension se traduit par un progrès dans la vie spirituelle de la personne et de la communauté ecclésiale». Mais malheureusement, c'est aussi «la chose la plus exposée, du fait de sa répétitivité, à devenir une routine, une évidence». Le cardinal Cantalamessa a rappelé les paroles de Jean-Paul II, dans l'encyclique Ecclesia de Eucharistia (17 avril 2003), lorsqu'il affirmait que les chrétiens doivent redécouvrir et maintenir vivante «l’admiration eucharistique». C'est précisément dans ce but, a-t-il expliqué, que les réflexions serviront «à redécouvrir l’émerveillement eucharistique».

Dans les tout premiers temps de l'Église, note le prédicateur, «la liturgie de la Parole était détachée de la liturgie eucharistique». Les disciples, rapportent les Actes des Apôtres, «fréquentaient le temple assidûment». Ils écoutaient la lecture de la Bible, récitaient les psaumes et les prières avec les autres Juifs ; c’était leur liturgie de la Parole. Puis ils se réunissaient séparément, chez eux, où « ils rompaient le pain », c'est-à-dire célébraient l'Eucharistie (cf. Ac 2, 46).

Bientôt, cependant, cette pratique «devint impossible, à la fois à cause de l'hostilité des autorités juives à leur égard et parce que les Écritures avaient acquis pour eux un sens nouveau, entièrement orienté vers le Christ». C'est ainsi qu'également «l'écoute de l'Écriture s'est déplacée du temple et de la synagogue vers les lieux de culte chrétiens, prenant progressivement la physionomie de l'actuelle liturgie de la Parole qui précède la prière eucharistique».
Liturgie de la Parole et liturgie eucharistique

Dans la description de la célébration eucharistique faite par saint Justin au IIe siècle, a rappelé le cardinal, non seulement la liturgie de la Parole en fait partie intégrante, mais les lectures de l'Ancien Testament sont désormais rejointes par ce que le saint appelle «les souvenirs des apôtres», c'est-à-dire les Évangiles et les Épîtres : en pratique, le Nouveau Testament.

En effet, lorsqu'elles sont entendues dans la liturgie, «les lectures bibliques acquièrent un sens nouveau et plus fort que lorsqu'elles sont lues dans d'autres contextes». Leur but n'est pas tant «de mieux connaître la Bible, comme lorsqu'on la lit à la maison ou dans une école biblique», que «de reconnaître Celui qui se rend présent dans la fraction du pain, pour éclairer chaque fois un aspect particulier du mystère que l'on va recevoir».

Cela apparaît, de manière presque programmatique, dans l'épisode des deux disciples d'Emmaüs. C'est «en écoutant l'explication des Écritures que le cœur des disciples a commencé à fondre, de sorte qu'ils ont pu ensuite le reconnaître à la fraction du pain (Luc 24, 1 et suivants)». Celle de Jésus ressuscité, a-t-il souligné, a été la première «liturgie de la parole dans l'histoire de l'Église».

Dans la messe, donc, «les paroles et les épisodes de la Bible ne sont pas seulement racontés, mais revécus ; la mémoire devient réalité et présence». Ce qui s'est passé «en ce temps-là» se passe «en ce temps-ci», «aujourd'hui» (hodie), comme la liturgie aime à l'exprimer. C'est pourquoi «nous ne sommes pas seulement des auditeurs de la parole, mais des interlocuteurs et des acteurs de celle-ci. C'est à nous, présents sur place, que la parole est adressée ; nous sommes appelés à prendre la place des personnages évoqués».

Le cardinal Cantalamessa a ensuite proposé quelques exemples pour nous aider à comprendre : «Une fois on lit, en première lecture, l'épisode de Dieu parlant à Moïse du milieu du buisson ardent : nous sommes, à la messe, devant le vrai buisson ardent... Une autre fois on parle d'Isaïe recevant sur ses lèvres l'ardent charbon qui le purifie pour la mission : nous sommes sur le point de recevoir le vrai charbon ardent sur nos lèvres, le feu que Jésus est venu apporter sur la terre. (…) L'Écriture proclamée pendant la liturgie produit des effets qui dépassent toute explication humaine, à la manière des sacrements qui produisent ce qu'ils signifient. Les textes divinement inspirés ont aussi un pouvoir de guérison», a conclu le cardinal.

 

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